Fonder Une Bibliotheque Sous L’ancien Regime

UNIVERSITE DE STRASBOURG, INSTITUT D’ETUDES AVANCES (USIAS)
BIBLIOTHEQUE NATIONALE ET UNIVERSITAIRE DE STRASBOURG

26 mars 2014
Journée d’études
FONDER UNE BIBLIOTHEQUE SOUS L’ANCIEN REGIME

Fonder une bibliothèque «publique» reste en Occident, depuis trois millénaires, un acte hautement symbolique, dont la dimension principale est certes d’ordre culturel et intellectuel, mais aussi politique.

Le modèle premier est celui du Musée d’Alexandrie (alias la demeure des Muses), que crée Ptolémée Ier Sôter au tournant du IIIe siècle av. J.-C. Nous sommes dans l’environnement très particulier des héritiers de l’empire d’Alexandre: Alexandrie devra être la capitale du monde, elle accueillera la dépouille du conquérant et elle abritera, dans son Musée, tous les instruments de culture alors disponibles, à commencer par les textes. A l’époque hellénistique, la ville est le grand emporium de la Méditerranée.

Il est inutile de s’arrêter sur le rôle du Musée dans la construction de la philologie –et de la pensée– occidentales, y compris pour la tradition chrétienne, avec le travail de la Septante. Avec Alexandrie, l’institution de la bibliothèque est d’emblée liée à une problématique d’acculturation et de transfert: le prince veut imposer le modèle grec comme modèle universel, mais aussi intégrer toutes les traditions provenant d’autres cultures. Plus tard, à Rome comme dans les autres villes de l’Empire, la fondation d’une bibliothèque en principe «ouverte» relève toujours d’un objectif d’évergétisme dont on sait les liens avec le champ politique.

Mais, avec l’effondrement radical de la culture livresque qui accompagne la disparition de l’Empire romain, avec aussi la religion nouvelle du christianisme, nous voici devant un tout autre modèle: celui d’îlots, constitués autour de l’Eglise et assurant seuls la conservation de la tradition écrite. Pourtant, le schéma politique ancien se retrouve sous l’empire carolingien: scriptoria et bibliothèques des abbayes et des chapitres seront les vecteurs de la renovatio imperii, à travers la diffusion des textes et le renouvellement des formes matérielles du support (la Renaissance carolingienne).

Le rapport entre la fonction de la bibliothèque et l’économie générale des médias, pour rester souvent implicite, n’en est pas moins toujours présent. Dès lors que le livre n’est plus chose exclusive de l’Eglise c’est-à-dire à partir du XIe siècle, il devient ce vecteur de formation et de culture qui permettra éventuellement de construire la réussite sociale. Donner accès au livre à tous ceux qui en ont besoin est un acte de foi: on fera des dons de livres à telle ou telle institution entretenant une bibliothèque, voire on fondera un établissement (un collège) qui permettra à ceux qui n’en ont pas a priori les moyens de poursuivre des études, et qui, notamment, tiendra à disposition une collection de livres aussi riche que possible –le meilleur exemple en est donné par la Sorbonne.

Pour autant, l’objectif premier, celui de la politique, perdure à travers les siècles, et jusqu’à aujourd’hui: avec la bibliothèque, il s’agit de documenter la réflexion et l’action politique (cas de Charles V comme de Mazarin), voire de se poser comme le prince des lettres, et donc comme l’héritier de la tradition de l’empire universel antique. Bien évidemment, la politique n’épuise tout l’éventail des objectifs, mais même lorsque celui-ci est de promouvoir les Lumières et de construire une république européenne des lettres, c’est le rôle du prince ou du grand comme médiateur et comme passeur, qui est toujours en jeu.
Si le schéma bouge en profondeur à l’époque de la Révolution française, la dimension politique reste au premier plan dans le domaine de bibliothèques désormais devenues «nationales». Il faudra une longue expérience pour constater que tous les citoyens n’ont pas un accès égal au principal média de culture, le livre, et qu’il conviendrait, en bonne logique démocratique, de fonder un autre modèle de bibliothèque, celui des «bibliothèques de lecture publique» au sens moderne du terme: cette question reste, jusqu’à aujourd’hui, l’un des enjeux-clés dans le domaine des bibliothèques, alors même que celui-ci est profondément reconfiguré par l’irruption de la «troisième révolution du livre», celle des nouveaux médias.

De l’acte de foi à l’investissement politique et aux formes changeantes de cet investissement en fonction de la déclinaison du paradigme, il y a encore beaucoup à dire sur l’acte de fonder une bibliothèque, et sur les dispositions matérielles prises pour assurer cette fondation. La journée d’étude organisée à Strasbourg le 26 mars prochain a précisément pour objectif d’éclairer ces phénomènes à travers une série d’exemples, des bibliothèques alsaciennes de la première modernité (XVe-XVIe siècles) aux bibliothèques du baroque et des Lumières, pour terminer avec l’émergence de la problématique de l’identité collective et des nationalités au sens moderne du terme.

PROGRAMME
Séance placée sous la présidence de Monsieur Yves Lehmann,
professeur à l’Université de Strasbourg

14h Ouverture de la séance
14h15 Livres et bibliothèques à Strasbourg et dans sa région du milieu du XVe siècle à la veille de la Réforme, par Monsieur Georges Bischoff, professeur à l’Université de Strasbourg
14h45 Fideicommis, mécénat, vocation publique: la fondation de la Bibliothèque Mazarine au XVIIe siècle, par Monsieur Yann Sordet, directeur de la Bibliothèque Mazarine
15h15 Discussion
15h30 Pause

15h45 Fonder des bibliothèques à l’époque les Lumières en Italie du Nord: les cas de Turin, de Parme et de Milan par Monsieur Andrea De Pasquale, directeur général des Bibliothèques nationales de Milan (Braidense) et de Turin
16h15 Jean-Daniel Schoepflin et les origines de la Bibliothèque publique de Strasbourg, par Madame Magali Jacquinez, étudiante à l’Université de Strasbourg
16h45 Fonder une bibliothèque «nationale» dans un pays sans monarchie autonome: Transylvanie et Hongrie, 1798-1803, par Monsieur Istvan Monok, professeur à l’Université de Szeged, directeur général de la Bibliothèque de l’Académie des sciences de Hongrie
17h15 Discussion et conclusion

Bibliothèque nationale et universitaire,
5 rue Joffre, salles des Conseils
Entrée libre, dans la limite des places disponibles

 

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